Le Faux Étudiant, Yasuzô Masumura (1960)

L’Étranger

Note : 5 sur 5.

Le Faux Étudiant

Titre original : Nise daigakusei

Année : 1960

Réalisation : Yasuzô Masumura

Œuvre originale et adaptation : Kenzaburô Oe, Yoshio Shirasaka

Avec : Ayako Wakao, Jun Fujimaki, Jerry Fujio, Eiji Funakoshi, Nobuo Nakamura

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Adaptation d’une nouvelle de jeunesse d’un futur prix Nobel de littérature (Kenzaburō Ōe), A False Student est une œuvre magistrale et complexe. On y retrouve le thème de la culpabilité, de la responsabilité, des faux-semblants, de la folie d’une société toujours en quête d’excellence et de reconnaissance…

Le film commence avec des faux airs de néoréalisme italien, bien aidé par la ressemblance de l’acteur principal avec celui du Voleur de bicyclette. La même présence naïve, une certaine folie, et la bêtise en plus… Ensuite, le film tourne au film politique comme on en verra plus tard, toujours en Italie (la connexion est réelle, Masumura a appris le métier en Italie), alors que Masumura continuera dans la subversion, mais sexuelle le plus souvent, beaucoup moins politique (quand on a Ayako Wakao à disposition, on s’adapte). On suit ainsi la petite imposture de Hikoichi sans se douter qu’il est en train de tisser autour de lui un inextinguible voile d’apparences qui ne cessera alors de jouer contre lui auprès de ceux pourtant qu’il cherchait à plaire.

Le film bascule encore une fois lors d’une longue séquence de séquestration, et gagne en puissance en interrogeant des thèmes tels que la vérité ou la justice, rappelant des films comme Fury (Fritz Lang), Du silence et des ombres (Robert Mulligan) ou L’Étrange Incident (William A. Wellman) ; des thèmes essentiels et universels que la construction d’une société comme celle de l’Ouest américain rendait possible, comme au temps des tragédies grecques. C’est bien de ça qu’il est question : ces étudiants appartenant à une des plus prestigieuses universités de Tokyo veulent réinventer le monde mais se rendent compte très vite qu’en place de leurs beaux idéaux, de la justice, on préfère toujours le petit confort d’une situation, la fuite lâche, opportuniste, face à des responsabilités lourdes, et le déni, voire le mensonge ou le crime pour préserver l’essentiel : son statut et les apparences, réelles et ultimes valeurs d’une société japonaise autant assujettie aux règles strictes de la bienséance et de la tradition.

Le génie ici, et la force du récit, c’est l’opposition poussée jusqu’à ses limites de deux types d’individus qui n’auraient jamais dû se rencontrer. L’individualiste, ou le solitaire naïf sans grands principes moraux, un peu idiot, désintéressé politiquement, souhaitant s’insérer dans une prestigieuse université qui le fait rêver — l’image idéale de la victime innocente ; et puis les jeunes étudiants, ambitieux, brillants, pleins de beaux idéaux, actifs dans leurs revendications politiques, pas foncièrement mauvais, mais qui, au nom de ces idéaux, au nom de la sauvegarde du groupe, et finalement au nom de la préservation de leur petit confort bourgeois pourtant si méprisé, n’hésiteront pas à flirter dangereusement avec ce qu’ils abhorrent.

Le dur et cruel apprentissage de la realpolitik. La savante exposition de ce qui nous fait basculer à l’insu de notre plein gré dans une forme fine de corruption et de lâcheté. Il y a quelque chose de pourri dans l’Empire du soleil levant — Masumura avait un Oe dessus.

Magistral.