The Hollywood Rush

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Migration des pionniers du cinéma, puis exode européen, vers le soleil de Californie.

Hollywood, haut lieu du cinéma mondial, ne s’est pas fait en un jour, mais quelques mois ont suffi pour que ce quartier de Los Angeles devienne un eldorado pour les entrepreneurs de cette industrie naissante qu’était le cinéma.

Et bon nombre d’étrangers y ont pris part.

La ruée vers l’or en paillettes a pris forme au cours des années 10. Le cinéma est alors en plein essor sur la côte est, et depuis déjà quelques décennies, les immigrants arrivent en masse depuis toute l’Europe. La guerre n’arrange pas les choses. Les crédits viennent à manquer, notamment en France. Et beaucoup d’artistes et pionniers européens choisissent de se rendre de l’autre côté de l’Atlantique. Parmi eux, beaucoup de Français, à la World Film Company par exemple. Mais pour nos Français, la côte ouest, c’est un peu loin, et à choisir, à la fin de la guerre, certains reviendront en France. Pour les autres, la nécessité de trouver des locations bien éclairées pour l’hiver, puis des terrains sans doute plus abordables, poussent tous ces pionniers à s’installer en Californie.

Depuis plus d’un demi-siècle au début des années 10, la Californie est en plein boom. Le Golden State n’abrite plus seulement des tribus d’orpailleurs, et il y fait bon vivre, la région profitant d’un climat méditerranéen propice à faire pousser des orangers. La Californie est la dernière frontière conquise en quelque sorte. Le bout du chemin, la terre promise. Et Hollywood, c’est le début de l’horizon sans fin…

La ruée est donc d’abord celle d’une immigration massive. Mais tout est propice alors à l’établissement, autour de Los Angeles, de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « pôle d’excellence ». L’Europe n’avait plus qu’à faire une petite guerre pour se tirer une balle dans le pied, et le système hollywoodien, et toute la culture américaine dans son sillage, avait le champ libre pour imposer sa loi dans le monde.

Quand on pense à l’établissement des studios en Californie, on pense d’abord à Griffith. Et à raison. Mais beaucoup d’autres sont venus avec lui, des étrangers avec des étoiles dans les yeux, à l’étroit sur la côte est, ou d’autres artistes et entrepreneurs nés en Europe qui la fuyaient et voyaient en Californie une chance de réussir.

La première vague d’entrepreneurs/créateurs installés à Hollywood pourtant, les véritables pionniers devrait-on dire, était composée pour une grande part de Canadiens. On pense à Chaplin, le Kid de Londres débarquant chez Mack Sennett, le Canadien au nom de coucher de soleil, installé très tôt en Californie. Si l’école de Brighton[1] n’a pas eu de petits, le cinéma anglais domestique évoluera à son rythme, comme les autres, et à cette époque Chaplin est une exception ; beaucoup de Britanniques, en particulier des acteurs, viendront à Hollywood, mais bien plus tard.

En 1920, le cinéma est déjà une industrie florissante. Les studios sur la côte est existent toujours. Mais il apparaît de plus en plus évident pour tout le monde qu’il faut suivre le mouvement. Alterner entre quartier d’été à l’Est et quartier d’hiver à l’Ouest a de moins en moins de sens, il faut s’y installer pour de bon. Tous les studios qui ont su s’imposer ensuite durant l’âge d’or s’y sont tous implantés. Les autres ont disparu. Les meilleures places partent toujours les premières.

Après la guerre, l’Allemagne fera pourtant de la résistance. Les studios américains ne rivalisent pas encore avec la toute puissante UFA. Mais la UFA est une constellation de petites sociétés artisanales (en France, les compagnies pionnières, Gaumont et Pathé, servent désormais principalement le marché domestique). Pas bon pour la concurrence. Alors les seuls pouvant rivaliser avec la compagnie allemande, c’est la demi-douzaine de gros studios américains, nés d’un long processus de sélection/acquisition entre sociétés (selon Darwin, on ne fusionne pas, on sélectionne…). Et puis la géopolitique s’en mêle. Si dans les années 20, les studios font venir massivement les stars européennes, dans les années 30, elles se jetteront dans leurs bras pour fuir l’Europe en crise. L’Empire austro-hongrois est mort ? Vive Hollywood… Mort aux juifs ? Vive Hollywood. Le talent n’a ni couleur ni religion, mais il prospère mieux sous des cieux cléments. L’Amérique puritaine et anticommuniste a failli l’oublier dans les années 40-50, mettant un frein au « Hollywood Rush » et à l’âge d’or… Le Nouvel Hollywood revigorera tout ça, mais les cinéastes qui le composaient étaient rarement des immigrés (Milos Forman, Roman Polanski). Hollywood ne capitalise plus que sur ses avoirs.

La ruée s’est donc calmée au milieu du XXe siècle, mais Hollywood depuis ce rush est la capitale indiscutable du cinéma, de l’entertainment, du show-business. La Californie, Los Angeles, Hollywood, brillent encore, et pour longtemps sans doute. On ne décroche pas si facilement les étoiles.

Seuls sont évoqués ici les artistes non américains ayant immigré à Hollywood, durablement, souvent pour de bon, et qui y ont contribué plus qu’ils n’ont contribué ailleurs. Pratiquement tous ont adopté la citoyenneté américaine, en plus d’avoir une place, bien sûr, au panthéon des étoiles, sur Hollywood Boulevard.

Les dates d’arrivée à Hollywood sont parfois approximatives, par manque d’informations, mais surtout parce que les bureaux d’une compagnie peuvent être à New York et les studios en Californie, voire les quartiers d’été seulement, les artistes eux-mêmes pouvaient naviguer au fil des contrats entre côte ouest et côte est, ou ailleurs.

Il faudra moins de dix ans à Hollywood, en partant de rien, pour devenir le pôle industriel du cinéma, « l’usine à rêve » que tout le monde connaît aujourd’hui.

Aperçu :

1910 : Mary Pickford (premiers tournages par D.W. Griffith en Californie et en particulier à Los Angeles, où on construit des « studios d’hiver ») Canadienne
1911 : Al & Charles Christie (premiers studios à Hollywood), Canadiens
1911 : Allan Dwan (réalisateur-producteur studio Flying A, situé à La Messa, près de San Diego), Canadien
1912 : Mack Sennett (studio Keystone, films burlesques) Canadien
1913 : Charles Chaplin (acteur pour la Keystone), Anglais
1914 : Marie Dressler (actrice burlesque) Canadienne
1914 : Adolph Zukor, créateur de la Paramount, première compagnie installée à Hollywood et à y réaliser le premier long métrage en cette année, né Austro-hongrois
1914 : Samuel Goldwyn (producteur et créateur de diverses compagnies, en 1914 à Hollywood pour participer aux productions de la Paramount) né Russe
1914 : Erich von Stroheim (petit assistant pour D.W. Griffith sur diverses production), né Austro-hongrois
1915 : Sam et Joe De Grasse (acteur et réalisateur) Canadiens
1915 : Carl Laemmle, émigré allemand, et Mark Dintenfass émigré austro-hongrois, créateur d’Universal
1917 : Rudolph Valentino, acteur, émigré italien
1917-18 : Alla Nazimova, actrice, scénariste, décoratrice, productrice et grande organisatrice de fêtes à Sunset Boulevard, née Russe
1918 : Louis B. Mayer, fondateur de la MGM, né à Minsk, grandi au Canada
1918 : William Fox, fondateur de la Fox, né en Autriche-Hongrie
1918 : Anna Q. Nilsson, actrice et une des plus grandes vedettes de l’époque, née Suédoise
1918-1919 : Lewis Milestone, né Russe
1919 : Émile Chautard, acteur et réalisateur pour la Paramount, né Français
1920 : Jack Warner, fondateur de la Warner, Canadien
1922 : Paula Negri, Polonaise (née Russe)
1923 : Ernst Lubitsch, Allemand
1923 : William Wyler, Allemand
1924 : Victor Sjöstrom, Suédois
1925 ; Josef von Sternberg


Al & Charles Christie

Al est auteur de comédie sur la côte est au début des années 10 pour David Horsley.

En 1911, pour le compte de ce même Dorsey, il crée à Hollywood Nestor Studios, les tous premiers studios à voir le jour dans ce quartier de Los Angeles.

En 1912, les studios sont rachetés par Universal ; Al y est en charge des comédies jusqu’en 1916.

En 1916, il crée avec son frère Charles, Christie Film Company qui loue au début les studios situés à Sunset Boulevard, propriétés d’Universal.

(Première vague d’immigration canadienne)

Mack Sennett

Né au Canada en 1880. Travaille sur la côte est avant de créer les premiers studios (Keystone) en Californie à Edendale (un quartier de Los Angeles) en 1912.

Inventeur du slapstick.

(Première vague d’immigration canadienne)

Mary Pickford

Née au Canada en 1892. D’abord actrice sur la côte est, découverte par D.W. Griffith pour la Biograph Company en 1909, et avec qui dès 1910, elle prend ses quartiers d’hiver en Californie pour profiter de la lumière et d’un climat plus confortable. En 1914, elle rejoint la Famous Players-Lasky (qui deviendra la Paramount), dont la production, comme son nom l’indique, repose sur ses vedettes : c’est l’invention du « star system » (à l’époque de la Biograph, les acteurs n’étaient même pas crédités et pouvaient passer des premiers aux seconds rôles sans difficulté). Pickford deviendra la plus grande star avec Chaplin durant les années de la guerre.

En 1919, installation définitive à Hollywood lors de la création de la United Artists (avec Chaplin, Fairbanks et Griffith)

(Vague canadienne)

Charlie Chaplin

Né en 1889 en Angleterre. D’abord collaborateur de Sennett, il réalisera ensuite ses propres films, pour l’Essanay et la Mutual en Californie (à Niles ou à Santa Barbara), avant de créer ses propres studios à Hollywood qui seront achevés la même année que le deal pour créer la United Artists, en 1919.

Le film symbole de cette époque, c’est L’Émigrant. Au lieu d’arriver à New York, à la même époque pour le cinéma, c’est déjà en Californie que tout se joue.

Marie Dressler

Née en 1868 au Canada. Célèbre partenaire de Mack Sennett, et faire-valoir de Chaplin ou de Marvel Normand pendant la guerre.

(Vague canadienne)

Allan Dwan

Né au Canada en 1885. Travaille d’abord à l’Est avant de prendre part à l’American Film Company. D’abord située à La Mesa (Californie) pendant la guerre, la compagnie “vole” vers Santa Barbara avant de se crasher (sans Dwan à son bord qui continuera à réaliser des films avec succès jusque dans les années 50).

(Vague canadienne)

Adolph Zukor

Né à Ricse (Empire austro-hongrois) en 1873. Immigre en Amérique en 1889. Créateur de la Famous Players Film Company en 1912, qui deviendra plus tard la Paramount.

The Squaw Man, tourné en 1914, est le premier long métrage filmé à Hollywood (précédé par un court de Griffith à l’époque où la Californie ne servait encore que de “location” pour les tournages en hiver).

La Paramount est le dernier grand studio a avoir son QG à Hollywood.

Samuel Goldwyn

Né Szmuel Gelbfisz à Varsovie (Empire russe) en 1879. Immigration d’abord très tôt en Angleterre, puis en Amérique en 1898, brièvement au Canada et enfin à New York.

En 1913, il travaille avec son beau frère, Jesse L. Lasky (lui-même pionnier de la Famous Players et de la Paramount). Après la fusion avec Zukor en 1916, Goldwyn, connu alors sous le nom de Goldfish, rachète ses parts et s’associe avec les frères Selwyn, personnalités importantes du théâtre à Broadway. Avec eux, il crée Goldwyn Pictures, et choisira finalement un peu plus tard Goldwyn comme patronyme (certains se marient pour changer de nom, d’autres font des fusions-acquisitions).

En 1924, Goldwyn Pictures s’associe à son tour avec une autre entité, la Metro Pictures Corporation, pour créer la MGM, et à nouveau, Goldwyn met les voiles, cédant par la même occasion l’image du lion rugissant (Samuel Goldwyn n’aura donc finalement jamais produit un seul film de la MGM).

Goldwyn se consacre alors à son seul travail de producteur, à travers sa société Samuel Goldwyn Productions. C’est avec elle qu’il produira de nombreux films, distribués parfois par la United Artists, la RKO et même tardivement par la MGM.

Ayant commencé au temps des pionniers comme entrepreneur, il montre pourtant très vite une préférence pour la production. Si le « lone wolf » possède un nom qu’on associe immédiatement à un grand studio hollywoodien, il est au contraire un modèle d’indépendance, préférant quitter les grands groupe à mesure qu’il participait à les créer, et être le seul décisionnaire des projets qu’il entreprenait.

Il a produit les principaux films de William Wyler.

Erich (von) Stroheim

Né à Vienne en 1885. Immigration à 24 ans. Travaille très tôt auprès de D.W. Griffith (dès 1914 à Hollywood), c’est avec les studios Universal après la guerre qu’il écrit et réalise son premier film. C’est le début d’une collaboration difficile, et la naissance d’un mythe, celui du réalisateur dépensier capable de faire couler à lui seul un studio (Welles prendra la relève).

Sam de Grasse

Canadien, né le 12 juin 1875. Sam de Grasse commence sa carrière en 1914 à travers la compagnie des frères Aitken, la Majestic, ou avec la Reliance de Charles O. Baumann. Il y tourne entre New York, la Floride et la Californie des courts métrages avec notamment Eugene Pallette (personnage énorme avec une voix insupportable bien connu des amateurs des films des années 30). L’année suivante, il apparaît dans Naissance d’une nation qui lance la mode des longs métrages.

On délaisse peu à peu les quartiers d’hiver de Floride pour la Californie, et Sam de Grasse participe très tôt aux films de la compagnie de D.W. Griffith installée en Californie, la Fine Arts (qui deviendra plus tard la Triangle) mais aussi avec ses compatriotes installés en Californie, Allan Dwan et Mary Pickford, ou avec son frère Joe, réalisateur. Tout cela dès 1915 en Californie. Sam tiendra souvent le rôle du méchant opposé à Douglas Fairbanks (Robin des bois, mais dès 1916 dans un western, Paria de la vie réalisé par Allan Dwan). La même année, il joue dans Intolerance et en 1917, il participe avec son frère aux premiers films tournés à Hollywood par Universal. Durant ces premières années pionnières en Californie, il croise Raul Walsh, John Ford, Henry King, Tod Browning, Mabel Normand, Adolphe Menjou, Anna Q. Nilsson, Jackie Coogan, retourne pour Griffith (Charité), tient le rôle principal des deux premiers films de Stroheim entant que réalisateur (La Loi des montagnes, Le Passe-partout du diable, toujours pour Universal), tourne pour les compagnies respectives du couple Pickford-Fairbanks, puis pour la Fox (début des années 20).

Dans la seconde partie des années 20, sa carrière s’essouffle, il apparaît une nouvelle fois face à Douglas Fairbanks dans Le Pirate noir, puis tient un petit rôle dans L’Homme qui rit. Il ne tournera aucun film parlant.

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