Quo Vadis ? Enrico Guazzoni (1913)

Que Saco ?

Quo Vadis ?

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1913

Réalisation : Enrico Guazzoni

Avec : Amleto Novelli, Gustavo Serena, Amelia Cattaneo

Un an après La Chute de Troie, les Italiens poursuivent sur la voie du péplum, et le plaisir des yeux est toujours le même. Le théâtre est toujours omniprésent avec une action face caméra, des acteurs qui jouent la pantomime ; mais dans les cadrages, on sent la volonté de casser le schéma unidimensionnel, cour-jardin, gauche-droite, du théâtre auquel est très relié le péplum, et cette symétrie imposée par les codes de construction picturaux. Si bien qu’on ne cherche pas à placer la caméra au centre d’une scène pour capter un point de fuite imaginaire en plein milieu et pour avoir un panorama des éléments essentiels, mais qu’au contraire on filme de biais, sur un coin, pour gagner en obliques et en lignes de fuite qui se perdent sur les bords de l’écran, ou au hasard dans la profondeur de l’écran (comme on chercherait à le faire dans un tableau, mais le plus souvent pour trouver une harmonie façon nombre d’or). Ainsi les personnages entrent et sortent depuis des espaces situés en profondeur et s’approchent au fur et à mesure vers le centre de ce qui est toujours une scène, le lieu de l’action principale — jamais on ne reproduit des entrées parallèles à l’horizon, de part et d’autre de l’écran, façon cour-jardin, mais la caméra perd de son omniscience pour se faire de plus en plus subjective, comme dans les thrillers ou les comédies tournées sur la côte est des États-Unis de la même époque.

La caméra peut se rapprocher de tel ou tel objet, voire des personnages la contourner (pas encore tout à fait au premier plan ; procédé qu’on peut toutefois voir l’année précédente dans Afgrunden avec Asta Nielsen ou chez Griffith en 1909 dans La Villa solitaire — et si on revient plus loin encore dans les films de l’école de Brighton mais c’était déjà un autre cinéma, très éloigné du théâtre). Le procédé existait déjà au théâtre si l’arrière-scène était suffisamment profonde, mais on veut clairement s’imposer cette profondeur de champ, et utiliser les avantages d’un studio, voire d’un lieu de tournage en extérieur, pour toucher au plus près à la réalité, sublimer le spectacle vivant et aller vers plus de vraisemblance.

Comme dans Troie, les décors n’ont rien du carton-pâte de certaines productions précédentes où on se contentait souvent de suggérer des éléments de décor en deux dimensions. Si la plupart des plans sont encore en plan moyen (personnages pris en pied), on s’approche une ou deux fois jusqu’au plan américain (aux cuisses), parfois même après un raccord dans l’axe effectué après un intertitre (procédé très utilisé à l’époque pour éviter les faux raccords ; une fois au moins le raccord se fait directement, lors de l’arrivée d’un immense chariot).

Les panoramiques sont nombreux, dont un d’accompagnement de personnage vers le début du film, et un autre identique, reproduit plus tard dans l’arène sur des centurions (effet garanti). L’idée que la caméra peut être active et offrir un effet narratif tout en continuant à casser l’impression de symétrie lourde rappelant trop les tableaux ou la scène commence donc à poindre ; les effets descriptifs sont améliorés, voire une certaine forme de subjectivité, comme on le verra dès l’année suivante dans Cabiria avec ses travellings (le montage narratif existe depuis une demi-douzaine d’années, popularisé par Griffith après s’être inspiré des films de l’école de Brighton ; quant aux travellings techniques — involontaires et non narratifs — ils existent depuis certaines « vues » de Venise filmées depuis une gondole pour les Lumière ou encore en utilisant un tramway dans Trip Down Market Street ; et pour ce qui est du travelling dans les films narratifs, si Cabiria a popularisé le procédé pour l’utiliser en abondance et pour avoir influencé plus tard des cinéastes, en cette même année 1912, on en trouve déjà des exemples dans The Passer-By et une deuxième fois dans le même film, tandis que dès 1910, avec le même effet qu’il convient d’appeler de « mise en scène », on le trouvait déjà dans cet extrait de The Song that Reached His Heart.)

Quo Vadis, Enrico Guazzoni 1913 Società Italiana Cines (2)

Quo Vadis ?, Enrico Guazzoni 1913 | Società Italiana Cines

L’utilisation de nombreux acteurs et figurants permet une composition du cadre toujours très inspirée de la peinture et du théâtre mais ça reste une force pour le film. Le fait d’avoir un cadre (en plan moyen donc) et de chercher à composer et placer ses personnages de telle façon qu’on les voit tous, jamais de dos, est un procédé qu’on retrouvera jusque dans les années 50, pas seulement dans les péplums, mais dès qu’il y a un peu de monde (groupe, foule…). Jusque-là, les réalisateurs, notamment hollywoodiens, viennent en large majorité de la scène et connaissent donc ces procédés pour que chaque personnage soit à tout instant visible et clairement apparent au regard du spectateur. Un savoir-faire très « classique » qui sera cassé dans les années soixante par les réalisateurs des diverses nouvelles vagues souvent plus issus des universités ou des revues de cinéma (ils compenseront ce manque de savoir-faire, ou ce qu’ils qualifient comme théâtral, peu crédible, en reproduisant un plateau plus grand où ils se contenteront de capter une « pseudo-réalité » souvent à travers des plans toujours plus rapprochés où n’apparaît que le personnage principal — mais, c’est vrai aussi que l’abandon du format 4/3 rendait déjà plus difficile le placement des personnages secondaires dans un même cadre).

On y trouve des séquences purement cinématographiques qui feront encore le succès de Cabiria et inspirées des « films d’action » anglo-saxons (Brighton toujours, et les films US) : l’incendie de Rome ou les scènes dans les arènes (des séquences, bien sûr, impossibles au théâtre) ; l’occasion de procéder à quelques plans de coupe descriptifs (au lieu de suivre un personnage, on regarde un événement — ce qui est déjà en soi en rapprochement vers les possibilités narratives du roman, et introduit l’idée de point de vue et d’omniscience à travers le regard, la présentation d’une action en images, et non plus à travers la voix seule ou la présence d’un acteur).

Avec l’abandon de l’angle « zéro », face à l’action et proposant une vision symétrique des décors, l’idée d’angle s’impose de plus en plus, même dans des œuvres inspirées fortement du théâtre comme ici. S’il faut choisir un angle, la question du choix devient primordiale. Et la possibilité du choix, c’est un début de narration. Une idée qui se fera de plus en plus, en parallèle au théâtre, puisque le régisseur est maintenant remplacé par un metteur en scène, à qui il appartient d’offrir « une vision » d’un texte. C’est ainsi la confirmation d’une naissance, celle de la notion « d’auteur » (qui en anglais, rappelons-le, signifie « cinéaste ») si chère aux critiques qui dit tout des nouvelles conventions : « l’auteur » ce n’est plus celui qui dit ou qui donne du sens, mais celui qui (se) montre.


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