Traffic in Souls, George Loane Tucker (1913)

The White Slave Dictagraph Device

Traffic in Souls

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1913

Réalisation : George Loane Tucker

Si on considère souvent Griffith comme seul grand innovateur des premières techniques du cinéma, c’est plus par une lâche nécessité de simplification de l’histoire. De la même manière, on ira dire que les Lumière ont inventé le cinéma (pour avoir inventé le « Cinématographe »). Oui non, on ne dépose pas de brevet pour des idées, elles sont donc dans l’air et tout le monde s’en empare (et à cette époque, même quand on a la propriété d’une histoire ou d’un procédé technique, on n’est pas à l’abri de vols). Et si certains innovateurs ont plus de talent que d’autres, cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient les « auteurs » des techniques qu’ils seront peut-être les meilleurs à employer dans des films par conséquent plus en vus. Edwin S. Porter, ainsi, le réalisateur du premier western, parfois crédité comme étant le père du montage narratif, n’avait rien d’un artiste, encore moins d’un raconteur d’histoire, et ses deux films « majeurs » de 1903 proposent des techniques inabouties (faux raccords, on dirait aujourd’hui). Ainsi, si Griffith est sans aucun doute un maître dès qu’il est question de montage alterné (cross-cutting), qu’il en a fait une marque de fabrique, on cite souvent Naissance d’une nation comme étant à la fois le premier film employant cette technique (ce qui est très largement faux) mais aussi le premier long métrage (voire parfois le premier film narratif). Là encore, c’est une simplification qui permet de poser des pierres bien rangées comme des menhirs comme si l’histoire s’écrivait en toute logique prête à être retranscrite dans les almanachs. Les Italiens produisaient déjà des grandes fresques, et donc ce Traffic in Souls, précédent de deux ans Naissance d’une nation, en est bien un autre exemple.

L’aventure d’un Griffith, c’est sa signature. Tout ce qui apparaît alors dégriffé apparaîtra quelques décennies plus tard sans valeur…

Concernant les Italiens, on aime aussi à imaginer qu’ils ont inventé le travelling avec Cabiria. Bref, on n’en a jamais fini. Qu’on soit propulsé dans l’Antiquité et on verra peut-être qu’Homère n’était qu’un des nombreux aèdes à avoir du talent, et qu’on soit propulsé le 15 juillet 1789 à Paris et on pourra toujours s’amuser à demander à des passants s’ils savent ce qui s’était produit la veille, ils hausseront les épaules comme on le fait aujourd’hui quand un ministre doit démissionner parce qu’il n’a pas déclaré ses impôts… Qui fait quoi, quand comment et quelle trace cela va-t-il laisser dans l’histoire ?… Il faut rester prudent avec les interprétations de l’histoire. Parce que dans dix siècles, on ne sera peut-être pas loin de dire que le Titanic de Cameron devait son succès à son caractère écologique et que la médiocrité de sa production était le signe de son respect pour les fonds marins encore préservés au XXᵉ siècle (hein, quoi ?).

Que trouve-t-on donc dans ce long métrage, tonton ? Eh bien, du montage alterné à gogo ! C’est tellement insensé qu’on s’y perd un peu. En effet, l’affiche se vante même d’avoir 700 scènes et 600 acteurs. Ça commence comme un Altman, on se trimbale gentiment entre différents personnages, façon chronique sociale. Et puis, ça tourne à la série B, avec la présentation de pratiques plutôt douteuses pour tromper des jeunes filles et en faire des prostituées. On s’en serait douté, Besson n’a rien inventé quand il a fait Taken, ne remettant au goût du jour qu’un vieux thème déjà très populaire au début du XXᵉ siècle, la traite des blanches (un film de 1910 danois, The White Slave Trade, mettait déjà en scène ce sujet par exemple — film cité dans l’excellent documentaire britannique, Cinema Europe : The Other Hollywood). Difficile de savoir si le procédé mettait en émoi les producteurs de la côte est à l’époque, mais on semble bien ici assister à une certaine surenchère dans le procédé. C’est haletant, certes, mais trop justement. Le cinéma comme formidable vecteur de la rumeur et des légendes urbaines.

Pour le reste, le jeu est déjà très réaliste. En revanche, la réalisation est statique (comme tout à l’époque semble-t-il, un peu comme les mouvements de foule sur le Pont Neuf le 15 juillet 1789). On ne s’embarrasse pas : on filme les décors toujours avec le même angle, face caméra et pratiquement toujours à la même distance. Une distance qui me semble toutefois plus proche des films de Feuillade de la même époque puisqu’on reste systématiquement dans des (bien nommés) plans américains (mi-cuisse).

Autre curiosité innovationnée dans le film, le « dictagraph ». Ça sent le placement de produit (à moins que l’objet ait été très répandu à l’époque…) mais si on croyait encore que la tablette électronique était une invention contempourelle, il faut jeter un œil au film rien que pour ce gadget des plus surprenants.


 

Traffic in Souls, George Loane Tucker 1913 | Independent Moving Pictures Co. of America (IMP)


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1913

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