Alimentation générale, Chantal Brillet (2005)

De l’émotion

Note : 3.5 sur 5.

Alimentation générale

Année : 2005

Réalisation : Chantal Brillet

L’émotion, ce n’est pas ce que je demande à documentaire, surtout pas même.

Les meilleurs documentaires poussent à la révolte, ou se posent au moins objectivement pour poser un constat et ça reste au spectateur, non par l’émotion mais par les faits, à tirer les conclusions de ce qu’il voit. Celui-là si je n’y voyais que ses “acteurs”, je le trouverais consternant. Consternant parce que justement, on ne peut plus se révolter, on est comme résignés. On voit des pauvres types se serrer les coudes et les pinces alors que le monde leur chie à la gueule et on trouve ça très beau. Je comprends qu’on puisse trouver ça émouvant, moi ça me renvoie à mon impuissance, à la leur, et à celle surtout d’une société qui laisse faire.

À un moment, Ali, je crois, a bien dit que les autorités, ou je ne sais quels responsables, savent ce qu’il faudrait faire et ne le font pas, c’est même plus révoltant, tu te révoltes quand il y a une lueur d’espoir. Et là, j’ai vraiment du mal, parce que je ne vois plus que des gens, des êtres humains, pas des gens bien ou mal, mais qu’on laisse pourrir dans leur misère sociale et dans leur ignorance parce que ça profite à tous les autres qui savent et qui, en partie, pourront regarder le doc et trouver ça bien mignon.

À un autre moment, on note les traces de moisissures et les traces de délabrement général de la boutique. Il y a des assurances, les assurances, c’est leur boulot de constater les dégâts et de faire en sorte qu’il y ait des travaux ; c’est aux propriétaires (ou machin HLM je suppose) de faire en sorte que ce soit fait. Ce n’est pas fait probablement à cause du casse-tête administratif et que quand tu es dans ton droit, c’est à toi de faire en sorte de te défendre, de t’armer de toute la meilleure patience possible, pour faire valeur tes droits. On le voit encore, certains ne savent même pas parler français. Plus difficile pour se défendre.

Je vois un autre type qui claque chaque semaine plus de trois cents balles chez un psy qu’on l’oblige sans doute à aller voir (pour justifier de ses troubles ou autre chose). Faire payer à ce type trois cents balles sans lui dire qu’il aurait sans doute droit à une prise en charge totale, c’est de la saloperie qui se pratique et qui s’organise par les gens bien portants. Et ces fils de pute trouvent encore moyen ensuite d’aller dire qu’il y a trop d’assistés. C’est sur ces fils de pute que j’aurais voulu un documentaire. Parce qu’il ne faut pas croire qu’il y a les bons et les gentils.

Alimentation générale, Chantal Brillet 2005 | Yenta Production

On le voit aussi à un moment, le type qui a volé de l’alcool chez Ali vient lui parler et s’excuse même devant caméra, OK c’est cool, ça fait lien social…, sauf que ça dit aussi beaucoup sur les conflits et la nature des gens. Ali est un brave type oui, y en a des tas comme ça, et il y a aussi des salauds de toute part qui ne le sont pas par vocation mais par nécessité ou par faiblesse. Tout le monde se bouffe, tout le monde ira jouer des apparences, des connexions, à défaut de pouvoir faire valoir ses droits dans un État qui en est de toute façon dépourvu une fois qu’on en a besoin, et cette réalité, je ne la vois pas dans le documentaire. Le type qui se fait agresser et qui sort depuis toujours avec son couteau, ou même Ali qui sera finalement été tué, de toute cette réalité on ne verra rien.

J’apprécie le doc parce qu’il propose une photographie d’une époque et d’une société, certes, mais il est à mon sens trop orienté, trop partisan et trop lâche. Ce n’est pas avec de la pommade que ça donne envie ni de réfléchir ni de sortir de ses certitudes. Sérieusement, on a besoin de rappeler que dans les cités les communautés diverses ne s’entendent pas si mal et qu’on y trouve des gens formidables ? Ce n’est pas un peu une porte ouverte enfoncée ça ?

Je préfère voir un Todd Solondz qui décrira cent fois mieux la nature des hommes, tous sans en sauver aucun, qu’un documentaire qui regarde avec bienveillance des individus dont, au fond, on ne saura rien sinon qu’ils ont tout l’air de petites gens sympathiques et dont les faiseurs pourront ensuite retourner chez eux avec la certitude d’avoir trouvé une bonne histoire à raconter. Une histoire, « tout l’air »… C’est tout ce qu’il faut pour nous endormir.

La réalité est ailleurs, et elle, elle pique. C’est la seule qui peut nous révolter.


Liens externes :