Et la femme créa Hollywood, Clara et Julia Kuperberg (2016)

Et Dieu se tint les côtes de rire

Note : 2.5 sur 5.

Et la femme créa Hollywood

Année : 2016

Réalisation : Clara et Julia Kuperberg

Leçon n° 1 pour le développement des idées reçues : combattre les stéréotypes par les stéréotypes, le sexisme par le sexisme, la bêtise par la bêtise.

Il y a peut-être pire que l’inégalité des sexes, ce sont les initiatives bien maladroites, voire malhonnêtes, dédiées à lutter en faveur d’une cause tout en se foutant pas mal du résultat. On se donne bonne conscience, on se met dans le sens du courant parce qu’on est une (ou deux, voire toutes qu’on voit dans ce machin débile) femme et qu’une femme respectable, et engagée, politisée, concernée par le monde dans lequel elle vit, c’est forcément une féministe. Ou plutôt une fausse féministe, une femme qui s’affiche comme telle, mais qui se fiche pas mal, au fond, de la manière de réduire les inégalités. Pour la posture, qu’importe si l’étendard raconte que de la merde, l’essentiel pour être vue, c’est bien de le brandir et d’attendre les applaudissements venant de toutes les autres petites voix sans cervelle qui disent œuvrer pour la même cause. Avec au final, une efficacité nulle, tout simplement parce qu’on simplifie une question complexe, on dénature la réalité pour la faire coller à ce qu’on voudrait, on grossit le trait, on use de sophismes pour justifier une vision simplificatrice du sujet, bref, on est dans la posture et l’amateurisme. L’intention de départ pourrait être bonne (quoi que, avec un titre aussi ridicule), l’éclairage historique, lui, est faussé, voire franchement malhonnête. Quant au plus important, aider à faire changer les consciences, les a priori, et les inégalités, c’est raté. On ne lutte pas contre des stéréotypes avec d’autres stéréotypes.

Demander à des femmes de « l’industrie du cinéma », manifestement très en pointe sur les questions “féministes” dans le domaine, pour parler d’une question socio-historique, c’est déjà digne d’un reportage basé sur la bonne foi des témoignages. La réalité historique, ici, on s’en tamponne le coquillage, il faut faire dans le grossier, il faut de l’émotion, il faut de belles histoires, avec des gentilles petites victimes et des méchants “moguls”. C’est un peu comme faire du documentaire sur les OGM en n’invitant que des tenants de produits bios. Ce genre de démarches, basé sur la sacralisation de la parole de la victime, avait d’ailleurs fait un chef-d’œuvre de mauvaise foi et de nullité artistique : Dear Zachary : A Letter to a Son About His Father. C’est ce qui arrive quand on refuse de poser les questions, soulever des problèmes, illustrer des dilemmes ou des contradictions, bref traiter de tout ce qui est compliqué dans des sujets réels en se gardant bien de céder à la facilité ou à se poser en historien capable de révéler la véritable nature d’une époque. Répondre aux questions par des affirmations, des évidences, stéréotyper les postures de chacun, c’est non seulement pas de l’art, ou de l’histoire, mais c’est surtout totalement inefficace à sa petite échelle pour lutter contre les inégalités en question.

Ça commençait fort, avec une des réalisatrices affirmant, comme le titre de son film le suggérait déjà, qu’Hollywood avait été fait par des femmes, puis en révélant (triste révélation) qu’elle ne connaissait pas les femmes supposées oubliées qu’on verrait dans le film. Et la voilà qui énumère : Mary Pickford, Lois Weber ou Alice Guy… Même pas la première, pour des étudiantes en cinéma, était inconnue ?… Si le reste était de ce niveau, si le film était réalisé par des telles ignares, c’était un peu l’assurance que ça volerait jamais bien haut et que toutes les imprécisions ou franches conneries balancées par leurs copines improvisées historiennes du cinéma ne seraient jamais supprimées.

C’est amusant, Mary Pickford, si elle est évoquée ici en tout début pour illustrer l’idée réconfortante pour des féministes avides de petites histoires de persécutions que Hollywood a été fait par des femmes (ce n’est pas une blague, c’est exactement ce qui est dit dans le film, à travers trois ou quatre exemples — sorte de joyeux biais sélectif historique), ben j’avais évoqué la même dans mon article sur le Hollywood rush pour illustrer cette fois ce que j’avais appelé la « vague canadienne ». Parce que cette étrange créature aux boucles dorées, en plus d’être une femme, était en plus canadienne, rien pour elle la Mary, et pourtant…, elle a inventé Hollywood ! On regarde l’histoire sous l’angle qu’on veut bien lui donner… Y voir une vague féminine à la création de Hollywood, ça c’est digne de la bataille de Los Angeles : on ne sait pas ce qu’on voit, mais on met plein “fard” dessus, et la photo est belle.

La réalité (historique) est malheureusement, et probablement (nuances nécessaires), plus complexe. Hollywood a été fait par des artistes, des producteurs de studio (on flirte d’ailleurs assez souvent dans le film avec l’idée que « studio » = « grand studio »), des hommes, des femmes, des juifs, des Canadiens, des Européens, des techniciens, des gens de talent et des moins que rien impulsant tout à coup des idées novatrices… Ah oui, l’histoire, c’est compliqué, et il faut se méfier des affirmations toutes faites.

Le traitement des années 30 par exemple me semble (oui, je ne suis pas non plus historien) plutôt hasardeux. Alors qu’être actrice au temps du muet, c’est aussi être une star, et c’est déjà un peu une question de pouvoir (puisque dixit quelqu’un dans le documentaire, les réalisateurs n’étaient que des pions à l’époque — assertion qui vaut pour les réalisateurs mâles, mais pas pour Arzner par exemple ; elle, c’est la réalisatrice ambitieuse, qui en voulait plus que les autres, bref, qui faisait tout… comme les hommes quoi, et puisqu’elle était réalisatrice… avait du pouvoir), tout d’un coup, au temps du parlant, tout ça, c’est fini : les hommes, et à leur tête, ces affreux patrons de studio, auraient repris les « reines ».

J’ai une vision toute différente, mais je ne suis pas non plus historien.

À mon avis, aucune période, aucune industrie, aucun “médium” comme on dit dans le documentaire, que ce cinéma-là de l’époque n’aura fait plus, dans le monde, pour la cause féministe ou pour l’égalité des sexes. Les années 30 étaient dans la droite ligne des précédentes où déjà le rôle des femmes, d’abord à l’écran, avait participé à modifier les consciences, les usages, et globalement pour « l’émancipation des femmes ». Soft power qu’on dit. Pas d’arguments biaisés, pas de documentaires stupides où les hommes sont forcément des méchants et les femmes les gentilles persécutées, mais la puissance de la culture où la femme joue son rôle, et pas celui d’un simple faire-valoir. Cette culture qui a fait le plus dans l’histoire du féminisme, c’est peut-être bien ce cinéma des années 30 tout tourné vers des personnages, et par conséquent des actrices, féminins. Jusqu’au code Hays. Des personnages indépendants au caractère fort, auxquels les femmes du monde entier pouvaient s’identifier, chercher à ressembler, et pour les hommes spectateurs, ces vils machos, commencer à comprendre et accepter une autre vision qu’ils pouvaient se faire du rôle des femmes dans la société. Seulement, les femmes interrogées dans le documentaire semblent s’intéresser un peu moins à la culture (et par conséquent au soft power, le pouvoir qu’elle peut avoir sur les masses) et un peu trop au pouvoir à l’intérieur des studios. Who run Hollywood. Qui porte la culotte ? Autrement dit : qui gagne le plus de fric ? qui est à la tête de l’industrie ou dirige réellement les choses ? (Les réalisateurs du temps du muet, je le rappelle étaient donc censés obéir aux studios — exemple de belles idées exposées dans le film qui ne s’encombrent pas de nuances). Avec une telle logique, on en vient à regretter (enfin une ou deux intervenantes) qu’il n’y ait pas plus de films d’action tournés (réalisés, là, c’est plus des petites mains à l’ordre s’il s’agit de femmes qui ont réussi) par des femmes. C’est vrai quoi, pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit aussi de faire des films de merde. Les femmes, si on y regarde bien, sont cantonnées aux films indépendants… Merde, les femmes, si elles font moins de films, font des bons films ? Si ça, ce n’est pas quand même le signe d’une terrible injustice.

Au moins, l’honneur est sauf, mesdames, soyez rassurée, ce n’est peut-être pas un film d’action, mais votre film est nul. Ce ne serait pas aussi décevant si le sujet n’était pas aussi important. Mais c’est peut-être justement le problème, de chercher à mêler politique et histoire. L’un cherche à dire ce que le public veut entendre, l’autre s’applique à présenter objectivement, autant que possible, des faits. Raté, on aura la bonne conscience d’avoir descendu les rapides sous les hourras ; pour l’efficacité, on repassera. C’est vrai au fond, le but c’est quoi ? Faire qu’il y ait moins de disparité entre les sexes, ou c’est de se plaindre et de raconter de jolies histoires avant de se coucher ?

Je pourrais pour ma part, et avec mes maigres connaissances, toujours liées à mes recherches sur le Hollywood rush, citer quelques noms, qui eux ont, je le pense, été beaucoup plus oubliés, et qui, il me semble (nuances, nuances), ont contribué fortement au développement d’Hollywood : Alla Nazimova et Anna Q. Nilsson. Dommage aussi, un peu plus tard, de ne pas avoir évoqué l’importance d’écrivaines comme Ayn Rand, Elinor Glyn ou de la critique Pauline Kael. Mais on a bien compris que pour les intervenantes, le pouvoir de l’argent, ou du poste au sein d’un grand studio, était bien plus significatif que tout autre chose de la place des femmes dans l’histoire d’Hollywood. Le film se termine sur une pirouette « ce qui est sexiste, c’est de penser que le caractère d’une femme ne peut pas être tenace » (citation approximative) ; eh bon on pourrait tout autant dire que penser que le seul pouvoir à Hollywood est détenu par celui, ou celle, qui a de l’argent ou qui a un poste dans une grande entreprise. C’est bien pourquoi Alice Guy est bien plus évoquée pour avoir créé son studio (et non pas à Hollywood mais dans le New Jersey) que pour la qualité ou l’importance historique de ses films. Elle est comparée à Méliès, mais la différence pour laquelle on retient plus volontiers Méliès, c’est qu’il avait du talent, pas parce qu’il a été le premier à créer un studio (si, si, il semblerait bien, à Montreuil, dans ce haut lieu du cinéma aujourd’hui oublié).


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