Un mauvais garçon, Jean Boyer (1936)

L’art de l’escamotage

Note : 3 sur 5.

Un mauvais garçon

Année : 1936

Réalisation : Jean Boyer

Avec : Danielle Darrieux, Henri Garat, Marguerite Templey

L’art de l’escamotage. Ce n’est pas tout de proposer un spectacle tout du long formidable, encore faut-il préparer sa chute. Et là, ça fait mal. Le twist, plus qu’inattendu, vulgaire, ridicule, discrédite en une seconde tout ce qui précède. Un saccage magnifique.

Tout se passait pourtant admirablement : Danielle Darrieux veut se faire avocate pour s’imposer en femme libre et indépendante, sa mère l’encourage et son père la presse très gentiment d’oublier ces sornettes, de se marier et tout le toutim. Ce n’est pas Baby Face et Barbara Stanwyck, mais la Darrieux (enfin Jacqueline Serval) a du caractère, et elle sait ce qu’elle veut… Jusqu’à ce que cette sotte (parce qu’il faut bien l’être pour se laisser ainsi tromper ou tomber aussi bas) tombe amoureuse. Jusque-là pourtant tout allait bien. On peut être sotte et féministe, ce n’était pas moins à la mode dans les années 30 qu’aujourd’hui. Et puis, puisque c’est un vaudeville, tournant parfois à l’opérette, on s’en moque. Jusque-là toujours, on fait confiance à la Darrieux. Pourquoi est-ce que son amour lui interdirait d’être indépendante ? Et puis comme on doit être tout aussi idiots qu’elle, on se laisse prendre, on ne voit rien venir…

Vient la scène de dénouement. Les masques tombent, et là, l’horreur, on comprend en une seconde ce qui sépare la France d’alors à un microclimat hollywoodien à l’époque, ou même à l’URSS depuis un moment… La petite fille se fait rouler comme personne par tous les personnages, c’est presque un viol collectif de son intégrité, aucun respect pour elle, et elle… gobe tout. « Oh, et pis finalement, autant me marier, je suis si heureuse, si amoureuse… » Pas grave de s’être fait ainsi rouler dans la farine de riz, t’es sotte et tu le resteras. Bonjour bobonne, adieu l’avocate.

Voilà comment on croit effleurer du doigt une idée du féminisme antique, on se plaît à rêver que la femme française d’avant-guerre aussi a participé au changement de mentalité, et puis on comprend que non. C’est la petite-bourgeoise à son papa qui ne fait que semblant de l’être, émancipée, qui joue trente secondes à jouer les femmes libres, et qui, une fois amoureuse ou en danger (c’est souvent la même chose pour ces femmes-là) demande son homme, son protecteur, son viril bobosse, et se change, elle, d’un coup en vieille toupie. Nul n’est plus esclave que celui, ou celle, qui se croit libre, sans l’être.

C’est un peu comme voir des amis participer à une fête d’anniversaire surprise tout en sachant que l’honoré déteste soit les anniversaires, soit les surprises, soit les deux. Voir le bâtonnier et le juge participer à une telle mascarade tout en sachant ce qu’en est l’enjeu (l’avenir professionnel de la Darrieux), c’est tout de même une saloperie pas croyable. Le patriarcat existe, je l’ai vu dans un film.


 

Un mauvais garçon, Jean Boyer 1936 | L’Alliance Cinématographique Européenne


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